Sur notre grand chemin,
on a fait une halte. Nous nous sommes arrêtés, nous nous sommes regardés. C’est
à ce moment seulement, au moment où nos chemins semblent se séparer, que l’on
cherche à savoir qui est cette personne avec qui l’on a tant marché, aux côtés
de laquelle les paysages paraissaient n'être plus que des décors de scène. Les cailloux dans
nos chaussures ne nous faisaient presque plus mal, l’eau manquait dans nos
gourdes, dans nos bouches, mais l’on n’avait plus soif. Le soleil s’endormait
sur nos nuques sans faire sentir sa présence. Je ne te voyais plus, toi mon
compagnon de voyage, toi mon ami.
Aujourd’hui, je me
retourne vers toi, je m’arrête. Je te vois. Je te conçois. Je réalise ta
présence à mes côtés, ta douce présence qui n’était plus que tolérée, qui
n’était plus désirée. Je ne veux plus que tu « sois ». Nous ne sommes
plus. La perfusion a été débranchée, les pansements ôtés, les voiles soulevés.
Je vois ton visage, je vois tes forces, tes innombrables forces, distillées
dans ce regard qui finalement est plus dur que doux.
Commencer à exister,
c’est te saisir dans toute ta beauté. Toi mon frère, toi mon aimé.
Le sang bat dans mes
tempes.
Afflue dans mes veines.
Je suis au départ de ma
vie.
Tu es un, tu es
multiple. Tu es cet enfant que j’ai consolé, cet homme dont les bras solides
m’ont portée, cet ami qui m’a écoutée, qui s’est livré à moi, qui m’a fait rire
aux larmes, ce frère avec qui je me suis battue, sur l’épaule duquel je me suis
reposée, ce compagnon qui m’a donné la main, cet
amoureux qui m’a embrassée, caressée, cajolée.
Toi et moi, il n’y a
rien que nous n’aurions pu faire, que nous n’avons fait.
L’alcool et les vapeurs
de tabac la nuit, glissant sur nos peaux phosphorescentes. La chaleur d’un
coucher de soleil, la brise fraiche de la mer Méditerranée, le sucre de ta
bouche, nos pas sur les pavés de l’Eurasie, nos doigts enlacés, nos fous-rires
incontrôlables, nos âmes exprimées, nos matins calmes et nos voyages en
musique, les fraises de l’Espagne, la froideur parisienne et l’euphorie
berlinoise, l’impudeur de la Tunisie, les élans de Dieu, les bas-fonds de nos
cœurs meurtris.
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